jeudi 30 octobre 2014

White Bird


L'adolescence et le déclin de l'American Dream semblent être des sources inusables d'inspiration pour le cinéma. Après Mysterious Skin et  Kaboom, Gregg Araki met ici en scène la nouvelle coqueluche adolescente d'Hollywood dans une rêverie aux faux airs de thriller.

Kat a bientôt 18 ans. Ses hormones se réveillent alors que sa mère disparaît du jour au lendemain sans laisser de trace. Elle va devoir passer à l'âge adulte et se construire avec cette absence. 

En adaptant le roman "Un Oiseau Blanc dans le Blizzard" de Laura Kasishke, Araki décide de se concentrer sur les rêves de Kat. Ils servent de lien entre le passé et le présent, entre ce qu'elle cherche à comprendre et qui reste dans le flou. Ils détiennent aussi la clé de cette disparition maternelle.
Ces rêveries donnent une atmosphère très particulière à White Bird: le film est à la fois cotonneux, onirique ainsi que froid et policier. On est d'ailleurs un peu perdus en tant que spectateur: entre teen-movie, enquête, drame, enrobé de quelques pointes d'humour. On ne sait pas trop sur quel pied danser ni ce qu'on est vraiment en train de voir. 
On pense par moment à American Beauty, pour la thématique de la famille américaine bien sous tout rapport mais qui cache des dysfonctionnements profonds. On ne retrouve pourtant pas le cynisme de Sam Mendes.

Le couple mère-fille autour duquel le scénario est articulé est interprété par Eva Green (Casino Royale, Dark Shadows et plus récemment Sin City: j'ai tué pour elle) et Shailene Woodley. La première semble vouée à ne jouer que des beautés fatales. Araki la filme ici tantôt splendide tantôt zombie. cette mère qui voit en sa fille la jeunesse qu'elle a perdu est magnétique.
Elle fait face à Shailene Woodley (Divergente, Nos Etoiles Contraires). Forte et sensible à la fois, elle donne à Kat ce qu'il faut de sincérité et de naïveté.

Car Kat, le personnage central, est la dernière à comprendre ce qui se passe: ses amis, amants, et même nous les spectateurs la regardons alors ouvrir les yeux avec un temps de retard.

White Bird filme aussi l'adolescence, la libido débordante et les hormones qui font leur effet. Moins trash que son dernier film Kaboom, Araki a tout de même a cœur de montrer les tensions sexuelles entre les personnages.

L'ambiance feutrée de White Bird m'a gênée. Le film ne dure qu'1h30 mais certaines scènes tirent en longueur et m'ont perdue en route. 
Reste une mise en scène maîtrisée et un scénario construit (y compris quelques surprises bienvenues) ainsi qu'un couple mère-fille qui fait réfléchir sur le passage à l'âge adulte.

La petite anecdote:
Le film se déroule à la fin des années 1980 et la BO new-wave vaut le détour (à noter la présence de New Order):  http://open.spotify.com/user/sanyasanya83/playlist/2YeyeVplRzIWjdrvUokyuy

Note:
2.5/5

Infos pratiques:
White Bird
sorti le 15 octobre 2014 en France
réalisateur: Gregg Araki
avec: Shailene Woodley, Eva Green, Christopher Meloni

jeudi 23 octobre 2014

Gone Girl


Le maître du thriller est de retour. David Fincher (Se7en, Fight Club et plus récemment, Millenium) adapte un best-seller de Gillian Flynn et nous fait trembler.

Nick Dunne rentre chez lui pour fêter ses 5 ans de mariage. Mais sa femme Amy a disparu et il se rend progressivement compte que tout l'accuse.

Gone Girl est tiré du roman Les Apparences de Gillian Flynn, qui a elle-même écrit le scénario (et a ainsi pris quelques libertés). 
Tout part d'un couple en apparence idéal et dont on découvre les fêlures petit à petit. Difficile de ne rien révéler du scénario qui va de surprises en rebondissements. 
Le réalisateur crée une tension qu'il fait grandir petit à petit et qu'il manipule à sa guise. 

L'intelligence de Fincher est de se servir de cette histoire pour parler d'autres aspects de la société américaine. Il a réalisé The Social Network en 2010: les conséquences de l'omniprésence de Facebook et la place de la vie privée sont abordés dans Gone Girl. La disparition d'Amy prend en effet des proportions gigantesques quand les médias s'en emparent. Les effets sur la vie des protagonistes sont démultipliés.

Fincher dénonce également l'image du couple et du mariage qui sont, selon lui sources de non-dits, de malaise et de désir de contrôler l'autre. A ce titre, Gone Girl est un film très pessimiste: sous de faux airs de comédie et en faisant appel à l'humour, le réalisateur a une vision très noire.

C'est finalement de l'image dont il est question (n'oublions pas le titre du roman d'origine Les Apparences): l'image qu'on renvoie aux autres, à ceux qu'on aime, à ceux qui nous entourent, à ceux qui jugent sans nous connaître. Jusqu'à quel point crée-t-on un illusion et comment peut-on jouer de ces apparences?

Ben Affleck est le mari pas si parfait qui risque d'être victime de lui-même. Il s'en sort correctement, sans plus. Rosamund Pike (vue dans le mauvais Jack Reacher) sort, elle, son épingle du jeu en héroïne hitchcockienne: beauté froide et fragile mais pas seulement.

Fincher maîtrise ses effets de réalisation à la perfection et nous balade de bout en bout. Certes, certains rebondissements sont difficilement crédibles et d'autres prévisibles. Mais on se dit quand même que ce sera bien de voir Gone Girl une 2ème fois pour ne rien louper.
Les références aux maîtres du genre sont nombreuses (une scène de douche par exemple n'est pas sans rappeler Hitchock) et on s'en délecte comme autant de clins d’œil. 

Une machine diaboliquement bien huilée...

La petite anecdote:
Pour les fans du clip "Blurred Lines" de Robin Thicke qui a fait couler beaucoup d'encre en 2013, sachez qu'Emily Ratajkowski est au générique de Gone Girl, et que c'est davantage pour sa taille de soutien gorge que pour son jeu d'actrice.

Note:
3.5/5

Infos pratiques:
Gone Girl
sorti le 8 octobre 2014 en France
réalisateur: David Fincher
avec: Ben Affleck, Rosamund Pike, Neil Patrick Harris, Emily Ratajkowski

mercredi 15 octobre 2014

Mommy


De temps en temps, un film vous rappelle pourquoi le cinéma est un art qui touche de façon particulière et qui peut vous emmener très loin.
Mommy, le nouveau long-métrage du jeune québécois Xavier Dolan est de ceux-là.

Diane Desprès, veuve quadra, récupère la garde de son fils de 16 ans quand celui-ci est renvoyé pour violence du centre dans lequel il était placé. Ils vont apprendre à vivre ensemble, aidés par leur voisine.

Pour décrire Xavier Dolan, les journalistes s'emballent: génie, chef-d'oeuvre, sublime, extraordinaire, etc.
Le réalisateur de 25 ans en effet déjà 5 films à son actifs, dont 4 ont été sélectionnés à Cannes (J'ai tué ma mère en 2009 à la Quinzaine des Réalisateurs, Les Amours Imaginaires et Laurence Anyways en Un Certain Regard en 2010 et 2012 et Mommy en sélection officielle cette année). Il a même dû partager son Prix du Jury, reçu ex-aequo avec Jean-Luc Godard...
Et pourtant, je n'avais jamais été attirée par ses films. Gros choc donc en voyant Mommy

La figure de la mère est un thème qui l'inspire et on se demande presque comment un jeune homme de 25 ans peut écrire des rôles de femmes de 40 ans aussi beaux et complexes.

Steve est un ado hyperactif et constamment au bord de l'explosion. Il aime sa mère à sa façon et elle le lui rend bien. Mais leurs fêlures respectives rendent leur relation difficile et instable. Quand leur voisine vient compléter ce triangle, un certain équilibre s'installe. Leurs relations sont à la fois fascinantes et troublantes et Dolan parvient à les filmer avec une grande empathie.
Le caractère imprévisible des personnages nous maintient en état de tension du début à la fin des 2h15 que dure le film.

Les trois acteurs sont extraordinaires. 
Anne Dorval et Suzanne Clément sont des habituées du cinéma de Dolan. Elles composent ici les deux facettes d'une mère en même temps qu'une histoire d'amitié qui va au-delà des mots.
Steve est magistralement interprété par Antoine-Olivier Pilon, angélique autant que détestable, à qui le réalisateur avait déjà fait appel pour un clip d'Indochine (voir ci-dessous "La petite anecdote").

Dolan a choisi de filmer en format carré 1:1 qui, s'il surprend et gène un peu lors des premières minutes, prend tout son sens au fil du film. Steve et Diane sont enfermés, ils n'ont pas de porte de sortie et cela se traduit par ces plans serrés. Il n'y a de la place à l'écran que pour une personne à la fois.

Intégralement joué en joual, ce dialecte québécois haut en couleur, le film est sous-titré (le réalisateur a lui-même assuré la "traduction" en français) pour nous permettre de ne rien rater des échanges verbaux parfois violents.
C'est d'ailleurs un des seuls reproches que je peux faire: on frôle parfois l'hystérie et cela pèse par moments.

Ces personnages ambivalents, à la fois détestables et aimables, Dolan les filme sans aucun cynisme et provoque chez nous des réactions épidermiques. Il utilise notamment la musique comme un ingrédient à part entière de sa réalisation. Je n'aurai pas pensé être autant émue par une chanson de Céline Dion (sacrée d'ailleurs "trésor national" à l'occasion). 

Mommy est donc à ne pas rater. Préparez-vous à un tour en machine à laver dont vous allez ressortir secoué(e).
Et dire que Dolan n'a que 25 ans, à suivre de près...

La petite anecdote:
Xavier Dolan avait déjà tourné en format carré, pour un clip controversé, celui de la chanson College Boy d'Indochine. On y reconnaît également l'acteur Antoine-Olivier Pilon.
Attention, certaines images peuvent choquer.

Note:
4.5/5

Infos pratiques:
Mommy
sorti le 8 octobre 2014 en France
réalisateur: Xavier Dolan
avec: Anne Dorval, Antoine-Olivier Pilon, Suzanne Clément

lundi 13 octobre 2014

Saint Laurent


2014, année Saint Laurent. Après un premier biopic (très poli) sorti en janvier signé Jalil Lespert (Yves Saint Laurent), c'est Bertrand Bonello, réalisateur de L'Apollonide qui signe cette 2ème version en moins de 9 mois.

Décennie 1967-1976, dans un Paris de tous les excès, Yves Saint Laurent le couturier devient YSL, la marque planétaire.

Ce Saint Laurent est une commande: les frères Altmayer, producteurs, ont contacté Bonello pour lui proposer le sujet. Celui-ci à accepté à condition de pouvoir raconter sa propre vision de la vie de Saint Laurent.
Il en résulte un film miroir. Yves Saint Laurent, personnage narcissique, se cherche dans toutes les glaces, se retrouve dans des muses et se perd dans son propre reflet. Bonello réalisateur et artiste réfléchit aux effets de la célébrité, à la place du business dans le monde de l'art. 

La construction est assez biscornue et pas facile à décoder. En refusant une construction linéaire et chronologique, on fait des bonds dans les temps (au passé et au futur) et c'est assez déconcertant.
Ce Saint Laurent est un exercice de style. Bonello ne livre quasiment pas d'informations sur la biographie. Le couturier devient juste une image, un support à la réflexion. 

Le projet n'ayant pas été approuvé par Pierre Bergé (joué ici par Jérémie Rénier), l'équipe n'a eu accès à aucune archive et aucun lieu touchant la vie d'Yves Saint Laurent. Tout a été recréé et le résultat est visuellement assez réussi. Tout une séquence tourne autour de la conception et de la réalisation de la collection "Ballets Russes" de 1976 et le défilé est bluffant

Bonello a une façon de filmer qui peut être assez fatigante. Outre la durée du film (2h30), les nombreux gros plans de mains, pieds et autres ourlets de robes plombent un peu le film. Au nom du style visuel, j'ai trouvé qu'on tombait souvent dans de l'intellectualisation un peu inutile.

La seconde moitié du film explore la relation vénéneuse de Saint Laurent avec Jacques de Bascher, amant de Karl Lagerfeld. Le dandy va l'initier aux drogues et à des expériences sexuelles abusives qui vont petit à petit faire sombrer le créateur dans une dépendance et des abus en tous genre. Bonello choisit alors un style très immersif et plonge le spectateur dans la peau d'Yves Saint Laurent.
Car son sujet est là: qu'est-ce que cela signifie d'être Yves Saint Laurent? Artiste de génie, diva déconnectée de la réalité, constamment à la recherche de l'élégance et irrésistiblement attiré par le malsain.

Gaspard Ulliel prête son corps longiligne au couturier et trouve une diction qui, sans pousser le mimétisme, l'incarne très bien. Louis Garrel est l'amant démoniaque et magnétique. Seule Léa Seydoux fait un peu défaut en Loulou de La Falaise.

Sélectionné à Cannes en mai dernier, représentant la France aux prochains Oscars, Saint Laurent n'est pas un biopic comme un autre. C'est davantage une réflexion hypnotique sur la place de l'artiste. 2h30 de réflexion hypnotique, ponctuée de bonnes idées de mise en scène mais globalement trop intellectualisée pour moi.

La petite anecdote:
Ma prochaine lecture pour continuer à me plonger dans ce monde de style et de paillettes: Beautiful People d'Alicia Drake, qui retrace les vies parallèles de Saint Laurent et Lagerfeld.

Note:
2/5

Infos pratiques:
Saint Laurent
sorti le 24 septembre 2014 en France
réalisateur: Bertrand Bonello
avec: Gaspard Ulliel, Louis Garrel, Jérémie Rénier, Léa Seydoux, Helmut Berger