lundi 24 mars 2014

Her


Her est le 4ème long métrage de Spike Jonze (Dans la Peau de John Malkovitch, Max et les Maximonstres), réalisateur prolifique de clips et courts métrages. Il a remporté il y a quelques semaines l'Oscar du meilleur scénario original.

Théodore vit à Los Angeles. Suite à sa rupture avec sa femme, il a du mal à passer à autre chose. Jusqu'au jour où il charge dans son téléphone portable un nouveau système d'exploitation à l'intelligence artificielle, appelée Samantha. Il va tomber sous son charme.

L'idée de départ peut faire peur: un LA futuriste, des robots intelligents dont on tombe amoureux... le risque était grand de tomber dans le ridicule. C'était sans compter sur Spike Jonze qui réussit à construire un monde du futur à la fois chaleureux, cohérent et surtout très probable. Pas de voitures, pas de publicités, des couleurs chaudes: le futur que nous propose le réalisateur n'est pas du tout anxiogène, il ressemble même beaucoup à une grosse barbe à papa...

Le maître mot pour décrire l'ambiance du film est la mélancolie. Cette ville est pleine de solitudes qui se consolent comme elles peuvent avec leurs jeux vidéos et la technologie qui vient à leur secours. Ce qui n'est pas si loin de ce que nous pouvons vivre aujourd'hui...

Le sujet central qui intéresse Jonze c'est le sentiment amoureux. Et plus particulièrement, est-il nécessaire que l'autre ait un corps pour tomber amoureux?
Grâce à un Joaquin Phoenix en grande forme et bien plus souriant qu'à son habitude et surtout grâce à la voix suave et envoûtante de Scarlett Johansson qui incarne littéralement Samantha, on croit en cette histoire sans se poser de question. La technologie n'est pas intrusive et on se surprend même de la facilité avec laquelle on y croit...

La première heure du film explore ces complexités des relations physiques et virtuelles, ce qu'elles engendrent. Est-ce que finalement, l'autre n'est-il pas toujours une représentation dont on tombe amoureux? Le rythme est doux et on s'attache à ces personnages tendres et remplis d'émotions qu'ils découvrent et qui les submergent.
Dans la seconde partie de Her, le scénario perd en intensité et l'ennui s'installe. Dans ce monde en coton où toutes les sensations sont amorties, on peine à voir le relief et même la douleur. Ça devient mou...

Her est un film au style léché. Spike Jonze est ami de longue date des Arcade Fire qui signent la BO. Tout l'identité visuelle du film est également très marquée, entre esthétique hipster et costumes sans cols, sans plis et sans couleur noire. Et le réalisateur frise sans cesse avec le too much: trop de tendresse, trop de jolies petites musiques, trop de pantalons taille haute, pendant 30 minutes de trop.

A voir donc pour le concept et pour écouter Scarlett susurrer des mots doux dans vos oreilles. Vous ne regarderez plus votre iPhone du même oeil...

La petite anecdote:
Les plans de la ville n'ont pas été créés par effets spéciaux mais ont été tournés en décors réals: à Los Angeles et à Shanghaï. C'est en mélangeant les paysages que Jonze obtient son LA du futur.

Infos pratiques:
Her
réal: Spike Jonze
avec: Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams, Rooney Mara
Bande-annonce: http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19541325&cfilm=206799.html 

vendredi 21 mars 2014

Monuments Men


Alors qu'il devait à l'origine sortir en décembre 2013, à temps pour les Oscars 2014, Monuments Men a finalement été repoussé pour  peaufiner la post-production. Cela n'a malheureusement pas suffi et le film est très décevant.

La Seconde Guerre Mondiale touche à sa fin quand l'armée américaine met en place une unité constituée d'experts chargés de sauver et récupérer les œuvres d'art menacées par les nazis.

Basé sur le roman du même nom de Robert E. Edsel, lui-même inspiré de la réalité, Monuments Men raconte une vaste chasse au trésor au sein d'une Europe très chaotique.
C'est surtout une nouvelle variation sur le thème "les Américains sauvent le monde". Ils sauvent ici les chefs-d’œuvres artistique et donc les plus belles réalisations de l'humanité.

En chef d'équipe, et réalisateur, George Clooney arbore fièrement la moustache et l'uniforme américain. Avec lui, Matt Damon, peu crédible en conservateur du MET, Cate Blanchett, sensée camper une française (!). Au moins John Goodman et Bill Murray font-ils sourire alors que Jean Dujardin est une mauvaise caricature de français (un genre d'OSS 117 sans le second degré...)

Le principal problème de Monuments Men est le sentiment qui s'en dégage: tout ça n'est pas vraiment sérieux. En privilégiant un ton léger et un humour de potes, Clooney essaie de rendre le sujet plus proche des spectateurs. Il donne surtout un vrai sentiment d'amateurisme. Ou quand les Américains peuvent filmer la guerre comme si c'était une attraction de Disneyland. Même les moments dramatiques sont joués avec un côté "je m'en foutiste" très désagréable. 

Comme tout film, Monuments Men ne nous présente qu'une vision partielle de la réalité et de nombreux experts dénoncent les intentions américaines qui ne souhaitaient pas forcément rendre toutes les œuvres à leurs propriétaires (souvent juifs) mais surtout remplir les musées outre-Atlantique.

Quoi qu'il en soit, la matière avait davantage de potentiel. C'est en fait un Ocean's Eleven en 1945 avec l'accent mit sur les vannes et l'esprit de groupe plutôt que sur le fond de l'histoire. Le sujet méritait plus de sérieux et de profondeur.

Monuments Men n'est donc pas crédible et son mérite principal est d'attirer l'attention sur un épisode méconnu de la Seconde Guerre Mondiale. Pour en savoir plus, mieux vaut ouvrir quelques bouquins, le roman d'origine Monuments Men ou Le Pillage de l'Europe  par Lynn H. Nicholas.

La petite anecdote:
"L'Autel de Gand", aussi appelé "Adoration de l'Agneau mystique", de Jan Van Eyck, est l'une des oeuvres les plus volées de l'histoire de l'humanité: achevé en 1432, le retable est caché en 1566 pour éviter que les calvinistes ne le brûlent. Entre 1784 et 1860, deux panneaux de l'autel disparaissent mystérieusement, alors qu'on 1794 l'armée française enlève quatre panneaux représentant l'Adoration de Paris. En 1816-17, six des panneaux restants sont achetés par Frédéric-Guillaume III de Prusse, avant que le retable ne soit totalement séparé entre 1914-1918. Berlin, Bruxelles et Gand se partagent l'oeuvre. Les Allemands volent deux panneaux en 1914 avant de les rendre en 1923. Enfin, une demande de rançon est faite suite au vol de deux panneaux en 1935: l'un est rendu comme gage de bonne foi, l'autre est encore aujourd'hui porté disparu. ce sont les nazis qui volent le reste et le cachent dans les mines de sel d'Altaussee avant que les Monuments Men ne découvrent la cachette. 

Infos pratiques:
Monuments Men
sorti le 12 mars 2014 en France
réalisateur: George Clooney
avec: George Clooney, Matt Damon, Bill Murray, John Goodman, Cate Blanchett, Jean Dujardin
Bande-annonce: http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19540445&cfilm=201434.html 

jeudi 20 mars 2014

La Cour de Babel


Mieux qu'"inspiré d'une histoire vraie": le documentaire. Ou comment on peut se plonger via le grand écran dans une réalité qu'on ne soupçonnait pas forcément.

Les classes d'accueil permettent aux adolescents non francophones qui arrivent en France de s'acclimater avant de basculer vers une classe normale de collège. Pendant un an, Julie Bertuccelli a suivi les élèves d'une de ces classes.

Ils arrivent du monde entier: Sénégal, Angleterre, Roumanie, Venezuela... et leurs histoires sont variées: fille de diplomate, ayant fui la persécution ou victime de guerre civile. Leur point commun: ils ne parlent pas français suffisamment bien pour suivre les cours classiques.
Sans dresser leur portrait individuel ni jamais s’immiscer dans la cellule familiale, la réalisatrice s'appuie sur ces jeunes pour bâtir son film. Ce sont leurs indignations, leurs surprises, leurs frustrations qui vont ponctuer cette année.

La Cour de Babel nous montre une certaine immigration, celle de ces ados arrivés en France sans l'avoir forcément décidé, mais convaincus que c'est par l'école que passe la prise en main de leur avenir.
Loin du portrait de l'adolescence molle et indolente que le cinéma sait si bien caricaturer, les ados de La Cour de Babel sont plein d'une énergie qu'il fait bon ressentir. Tous (ou presque) ont des histoires difficiles faites d'éloignement familiaux, de déracinements mais ils sont bien décidés à ne pas se laisser marcher sur les pieds.

Si leurs colères prêtent souvent à sourire, leurs parcours sont souvent touchants. Et par leur bouche, ce sont nos propres comportements qu'ils renvoient. Comment se sentent-ils dans ce nouveau pays? sont-ils heureux?
On retrouve l'énergie et les angoisses des ados, mélangées aux problématiques propres à ces jeunes étrangers.
Cette école sur laquelle on aime tant tirer produit aussi de belles leçons. Et si le rôle de l'Education Nationale est de préparer les jeunes citoyens de demain, alors le dispositif des classes d'accueil y a tout à fait sa place.

En privilégiant un rôle de témoin (elle a tout simplement installé sa caméra dans la classe pendant 1 an), Julie Bertuccelli n'avance pas d'opinion. On comprend vite son admiration pour la professeur encadrant cette classe. Mais La Cour de Babel n'est pas un documentaire revendicatif. 
Il n'est pas non plus forcément très pédagogue: on n'en sait pas beaucoup plus sur le dispositif à la fin du film.

Pour des raisons de rythme et cette absence de prise de position, le spectateur peut vite s'ennuyer. On assiste nous aussi en témoin à ces morceaux d'histoire sans pour autant parvenir à s'attacher profondément aux protagonistes. La professeur est par exemple quasi absente de l'image.
Je m'attendais à un nouveau choc type Entre les Murs et ce n'est pas le cas.

La Cour de Babel est donc un documentaire fin et affectueux sur un sujet intéressant et d'actualité. Difficile pour autant d'en faire un objet de cinéma: attendez la sortie en DVD ou la diffusion sur ARTE...

La petite anecdote:
Pendant l'année scolaire 2010-2011, ce sont 16200 enfants non francophones qui ont été accueillis dans les Classes d’Accueil en collège (18500 en primaire). 
Elles sont à distinguer des classes d'alphabétisation qui accueillent les jeunes n'ayant pas été scolarisés dans leur pays d'origine.

Infos pratiques:
La Cour de Babel
sorti le 12 mars 2014 en France
réalisatrice: Julie Bertuccelli
bande-annonce: http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19541945&cfilm=221636.html 

mercredi 12 mars 2014

Dans l'Ombre de Mary - La Promesse de Walt Disney


Mary Poppins a 50 ans et elle n'a pas pris une ride. Disney a choisi de remettre sur le devant de la scène cette nounou volante en se penchant sur sa créatrice. L'occasion pour deux grands acteurs de nous livrer un beau numéro.

PL Travers est l'auteur du best-seller pour enfants Mary Poppins. Pendant 20 ans, Walt Disney a souhaité acquérir les droits de ce roman pour l'adapter au cinéma. L'auteure, quant à elle, est bien décidée à ne pas galvauder sa chère Mary au pays de Mickey.

Dans l'Ombre de Mary se penche donc sur les coulisses de la préparation du film Mary Poppins, de l'écriture du scénario au casting et aux choix de mise en scène. Il est peu de dire que cette préparation fut mouvementée. Difficile en effet d'imaginer deux personnes aux caractères aussi éloignés que Walt Disney et PL Travers. L'un est un monstre sacré, paternaliste et débonnaire, là où l'autre est une britannique pincée et aigrie, aussi flexible qu'un manche à balai.
Quand ces personnages sont interprétés par deux pointures telles que Tom Hanks et Emma Thompson, on se régale.

Le film est une production Disney et on ne peut s'empêcher de penser que le portrait de Walt Disney a été édulcoré. Connu pour être un gros fumeur et avoir des positions politiques peu recommandables aujourd'hui, ces aspects sont soigneusement évités dans Dans l'Ombre de Mary. Il n’empêche que Tom Hanks se glisse dans la peau du créateur de Mickey avec un plaisir évident.

La vraie performance vient d'Emma Thompson qui campe PL Travers. Elle parvient à rendre cette femme à la fois acariâtre, profondément casse-pied et en même temps fragile et humaine. 
Là aussi, certains aspects de la vie de Travers ont été omis. Par exemple, elle avait à l'époque dépeinte dans le film un fils adoptif d'une vingtaine d'années qui n'est pas mentionné. Cependant, les bandes enregistrées lors des répétitions dépeignent bien une femme extrêmement ferme sur ses positions (voire totalement bornée) et refusant de transformer son roman en divertissement frivole.

Le scénario est construit en allers-retours entre l'enfance de Travers et deux semaines en 1961 qu'elle est venue passer à Hollywood pour travailler sur le projet de film. Petit à petit, on comprend mieux les névroses de cette femme qui s’agrippe à son héroïne comme à une bouée de sauvetage.

Si vous êtes, comme moi, fan du Mary Poppins de 1964, vous serez naturellement intéressés d'en savoir plus sur les coulisses humaines d'un film culte. Pour les compléments de vérité, j'ai prévu de lire Mary Poppins, She Wrote, la biographie de PL Travers écrite par Valerie Lawson.
Si, en revanche, vous ne savez pas chanter Supercalifragilisticexpialidocious par coeur, Dans l'Ombre de Mary  n'aura pas la même saveur. Il reste tout de même un bon divertissement porté par deux acteurs au sommet de leur art.

La petite anecdote:
Les frères Sherman, interprétés dans Dans l'Ombre de Mary par Jason Schwartzman et BJ Novak, sont non seulement les auteurs des chansons de Mary Poppins mais aussi de It's a Small World, l'hymne entêtant que l'on peut entendre dans les Disneyland du monde entier. Ils ont aussi signé les bandes-sons du Livre de la Jungle et des Aristochats

Infos pratiques:
Dans l'Ombre de Mary
sorti le 5 mars 2014 en France
réalisateur: John Lee Hancock
avec: Tom Hanks, Emma Thompson, Paul Giamatti, Colin Farrell
bande-annonce: http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19540088&cfilm=204100.html 

vendredi 7 mars 2014

The Grand Budapest Hotel


Wes Anderson (A bord du Darjeeling Limited, La Vie Aquatique, Fantastique Mr Fox, Moonrise Kingdom) réunit un grand casting pour nous conter sa nouvelle aventure farfelue et poétique.

Monsieur Gustave, concierge omniprésent et attentionné du Grand Budapest Hotel se retrouve impliqué dans des péripéties rocambolesques suite au décès soudain de l'une des clientes. 

L'univers de Wes Anderson est particulier et si vous êtes sensible à son charme désuet, à son attention aux détails et à son humour décalé, The Grand Budapest Hotel ne vous décevra pas.
Moins extravagant que certaines de ses précédents réalisations (La Via Aquatique par exemple), Anderson signe ici un conte malin et pétillant.

Monsieur Gustave est un personnage fascinant qui parvient à conserver son élégance dans toutes les situations. Dandy quasi gigolo, il érige les bonnes manières en style de vie et façonne son monde à coup de politesses. Le flegme britannique de Ralph Fiennes est parfait pour ce personnage qui donne largement le ton du film.

Anderson nous emporte dans le labyrinthe de son Grand Budapest Hotel, allant même jusqu'à faire des sauts dans le temps entre les années 30, 60 et 80.
Il ne perd jamais le rythme et les aventures s'enchaînent de façon surprenante et délicieuse. 
Les connaisseurs du réalisateur reconnaîtront des symboles et des thématiques qui lui sont chers (les trains, les costumes colorés, l'animation image par image, les dédales...).

L'affiche en dit long sur le festival de stars venues faire une apparition (Jude Law, Tilda Swinton, Harvey Keitel, Willem Defoe et les habitués Owen Wilson et Bill Murray qui apparaissent pour la 7ème fois). Il semble que même les figurants soient connus! Sans doute ces acteurs et actrices viennent se régaler pour quelques jours de tournage à endosser les costumes loufoques que Wes Anderson a imaginé et participer à son univers.

Il n'a pas son pareil pour créer une atmosphère et y faire vivre ses histoires. Il jongle ici entre film d'action et d'évasion, comédie bourgeoise, enquête et romance et semble aussi à l'aise avec tous ces styles.

A bien y réfléchir, il y a une certaine noirceur derrière le rose bonbon de la façade du Grand Budapest Hotel. Le monde de M. Gustave touche à sa fin, l'armée s'installe et la violence n'est pas absente.
Mais grâce à un humour fin et décapant, le spectateur passe 1h40 dans un monde à part, entre burlesque et raffinement.

La petite anecdote:
The Grand Budapest Hotel n'est pas vraiment situé dans les Alpes du pays de Zubrowka: c'est le magasin görtlitzer Warenhaus en Allemagne (à la frontière avec la Pologne et la république tchèque) qui a servi de décors au film.

Infos pratiques:
The Grand Budapest Hotel
sorti le 26 février 2014 en France
réalisateur: Wes Anderson
avec: Ralph Fiennes, Tony Revolori, Adrian Brody, Willem Defoe, Mathieu Amalric, Jude Law, Hrvey Keitel 
bande-annonce: http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19539015&cfilm=207825.html 

lundi 3 mars 2014

Only Lovers Left Alive


Les films de vampires ont leurs codes: traque, suspense, meurtres... Quand Jim Jarmusch fait un film de vampires, ces codes sont oubliés et il les transforme en métaphores pour des thèmes qui lui sont chers: la désillusion et l'importance de l'Art.

Adam vit à Détroit. Musicien reclus, il refuse de voir le monde qui l'entoure et le dégoûte.
Eve vit à Tanger. Elle est entourée de livres et entretient quelques amitiés.
Adam et Eve s'aiment depuis 500 ans.

En compétition à Cannes en mai dernier, Only Lovers Left Alive rassemble beaucoup d'ingrédient d'un film "cannois": un réalisateur sélectionné pour quasiment tous ses films depuis 1983, un thème et une esthétique très intellectuelle, un bande-son aboutie. 
C'est pour moi le genre de film qui doit être vu en sachant ce qu'on va trouver. Un fan de Twilight qui penserait y trouver une nouvelle love story de vampires serait... déçu.

Le film parle de la lassitude d'exister, d'être persuadé que le meilleur est derrière soi. Paradoxalement, Only Lovers Left Alive n'est pas un film déprimé. Il est parsemé d'ironie qui relativise la mélancolie ambiante. Car, si Adam est désabusé et revenu de tout, son histoire d'amour avec Eve lui permet de survivre. Ces deux-là s'aiment comme des rock-stars, en dandys snobs plaçant l'art au-dessus de tout.

Jarmusch évite l'ennui en nous promenant entre Détroit et Tanger. La première n'est plus que l'ombre d'une capitale industrielle, la seconde un dédale de ruelles où l'on se perd. Forcément sombre (on est dans un film de vampires), l'esthétique très rock et prend parfois l'aspect d'une pub pour The Kooples. 
La poésie règne en maître puisque les vampires sont en fait les auteurs des plus grandes œuvres de la littérature (Shakespeare en tête) et de la musique (l'adagio de Shubert par exemple). Il faut donc arriver à se plonger dans cet univers mélancolique et romantique.

Car ces vampires ont des sentiments et c'est là que le film prend tout son sens. Mi-amants mi-jumeaux, Adam et Eve poursuivent depuis 500 ans la même conversation. C'est grâce au personnage d'Eve, plus optimiste et lumineux que celui d'Adam est supportable. Elle apporte l'ironie et la distance nécessaire à cet ermite aigri et suicidaire.
Tilda Swinton (We Need to Talk About Kevin, Moonrise Kingdom) prête son physique si particulier à cette créature. Teint diaphane et crinière blonde, elle est parfaite en lady vampire. Tom Hiddleston (le méchant Loki dans Thor) joue Adam avec enthousiasme.
Mia Wasikoswka (aperçue dans Des Hommes Sans Loi, et héroïne de l'Alice au Pays des Merveilles de Burton) vient donner un coup de pied salutaire dans cet univers statique.

Contemplatif et mélancolique, Only Lovers Left Alive n'est pas pour tous les publics. Il reste cependant l'un des films de Jarmusch les plus accessibles. Noir mais ironique, c'est un film élégant qui déjoue les codes des vampires pour jouer une balade subtile et un peu snob.

La petite anecdote:
Le 18 juillet 2013, Detroit est la première grande ville américaine à demander sa mise en faillite, la ville ayant cumulé une dette, devenue impayable, de 18.5 milliards de dollars.

Infos pratiques:
Only Lovers Left Alive
sorti le 19 février 2014 en France
réalisateur: Jim Jarmusch
avec: Tilda Swinton, Tom Hiddleston, Mia Wasikowska
bande-annonce: http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19540179&cfilm=193927.html